Le monde change, et la demande aussi...

Rikki Cavanagh
18.06.24 01:43 PM - Commentaire(s)

Mon premier emploi en hôtellerie, c'était aux ventes dans un Hôtel du centre ville d’Ottawa en 2014. Je me rappellerai toujours de ma conversation avec des collègues, un vendeur et un directeur du revenu le 23 Octobre 2014. C’était le lendemain de l’attaque de la Colline du Parlement qui avait mené au décès d’un soldat Canadien, Nathan Cirillo. Le vendeur, qui avait fait le déplacement depuis l’extérieur de la ville, nous a demandé comment nous allions suite aux évènements de la veille. Notre directeur du revenu a rapidement répondu “ nous avons fini à 100% d’occupation parce qu’on est juste en dehors du périmètre de sécurité” et j’ai ajouté “On est aussi attristés par la perte de vies humaines et un peu secoués par l’évènement!”.


 Le monde n’est plus le même qu’il y a 5 ans. Il n’est plus le même que l’an passé. Les changements climatiques et les tensions politiques continuent d’impacter les populations et les affaires autour du monde. Les effets de ces changements sur les gens sont difficiles à formuler et dépassent parfois toute compréhension. Cependant, l’impact des feux de forêts, les ouragans et des relocalisations sur nos chambres d’hôtel, ça, ça peut être clairement représenté en graphiques et diagrammes. 


            Il est capital que les gestionnaires et compagnies de gestion des revenus soient conscients de ces résultats, puisqu’ils devraient être pris en compte lors des prévisions basées sur les données historiques. J’ai utilisé les données de CoStar pour examiner l’impact sur l’occupation, l’ADR et le revPAR pour les zones affectées par ces évènements majeurs l’an passé. Les évènements que j’ai étudié étaient dispersés à travers l’Amérique du Nord durant les dix dernières années, en excluant 2020 et 2021. 


            Commençons en 2015; le premier événement que j’ai étudié est la relocalisation des réfugiés Syriens au Canada. Pendant une période de plus de 100 jours, de novembre 2015 à février 2016 le Canada a accueilli 25 000 réfugiés. Consciente que Toronto était une mégalopole clé dans cette opération, je me suis penchée sur les données de STR pour le sous marché de l’aéroport de Toronto. Afin de bien en saisir l'impact, j'ai considéré les périodes avant l'événement et l’année suivante. Dans ce cas ci, j’ai comparé octobre 2014-mars 2015, octobre 2015-mars 2016 et octobre 2016-mars 2017. 


            La période en question a vu une croissance de l’ADR et l’occupation de 4.9% et 4.6% respectivement, résultant ainsi une croissance du RevPAR de 9.8%. L’année suivante le sous-marché a constaté hausse du RevPAR de nouveau, généré par la croissance de l’ADR, puisque les taux d’occupation sont restés égaux d’une année sur l’autre. On peut aussi voir qu’en février 2015 les taux d’occupation ont atteint des sommets sans précédents. 


            En se préparant pour 2016, les objectifs auraient été déterminés pour prendre en compte la croissance de l’année précédente, en dépit du fait que ces chiffres étaient entraînés par des relocalisations. Bien que les taux d’occupation n’aient pas été maintenus l’année suivante, l’ADR a augmenté puisque la clientèle provenait de sources plus variées au lieu de tarifs négociés pour de plus longs séjours. 


            Ensuite, je me suis penchée sur un autre événement Canadien. Les feux de forêt de Fort McMurray en Alberta, de 2016, qui ont forcé pratiquement 90 000 personnes à évacuer leurs maisons. Les feux ont commencé en mai et n’ont pas été déclarés comme complètement éteints avant le 2 août 2016. 



            Ce qu’on remarque en comparant les RevPAR c’est qu’habituellement la période de juin à août aurait vu une hausse de la demande à Fort McMurray comme on peut le voir sur les colonnes bleues foncées qui représentent les tendances avant les feux. En mai 2016 on a pu constater une baisse de l’occupation de 30%, puisque les résidents étaient évacués, et une hausse au niveau du RevPAR puisque les résidents étaient autorisés à retourner à Fort McMurray, mais nombreux d’entre eux avaient partiellement ou complètement perdu leurs foyers. 


            En 2017 on peut constater que juin et juillet ne suivent pas les chiffres de 2016 d’après la catastrophe, et ceci est principalement dû à une baisse de l’ADR. Je soupçonne que le pick up des nuitées était plus lent que l’année précédente et que les tarifs ont été par conséquent réduits (-22% en juin et -13% en juillet). L'occupation n’a pas connu de hausse significative via cette stratégie, donc en août nous avons vu le RevPAR s’équilibrer avec seulement une baisse de 3% de l’ADR.


 


            À la fin du mois d’août 2017 l'ouragan Harvey a frappé le Texas, causant des inondations majeures, des coupures de courant, la relocalisation de 30 000 personnes et la destruction de 9 000 foyers. L’ouragan s’est ensuite déplacé vers la Louisiane le 28 août, et on peut constater la hausse du Revpar au Texas, entraînée par une augmentation de l’occupation de 14% en septembre 2017. 


            Cinq ans plus tard, l'ouragan Ian a touché la Floride. Après avoir provoqué des destructions à travers les Caraïbes, la tempête a été l’une des plus mortelles dans l’histoire de la Floride avec 149 décès confirmés. Du côté des données hôtelières, l’état de la Floride a vu une hausse de l’occupation, des tarifs et de l’ADR après coup, puisque les gens étaient délocalisés à cause des inondations et des destructions. 


            Si on se base sur l’année précédente, on aurait pu s’attendre à une baisse de l’ADR d’environ 10$ entre août et septembre. Seulement, on constate une baisse d’uniquement 2$. L’occupation a aussi performé un peu mieux que l’année précédente avec une baisse de 2% comparé à 4%.Il est impossible de dire combien de cette production est dû à l’ouragan Ian, puisque la tempête a touché la Floride le 28 Septembre et s’est affaiblie avant de continuer vers les Caroline. En octobre, cependant, on peut constater une hausse significative du RevPar, entraîné par une progression de l’occupation de 10% et une augmentation de 31$ de l’ADR. 


            La dernière catastrophe que j’ai examinée s’est passée à Maui en 2023. Les feux en août de cette année, en plus d’avoir causé des dommages s’élevant à des milliards de dollars et coûtant des centaines de vies, ont aussi impacté l’industrie hôtelière. À commencer par une chute du taux d'occupation et une légère baisse de l’ADR, les mois suivant les événements ont connu une occupation plus haute que la normale avec des tarifs de 3 à 15% plus bas que l’année précédente. Les impacts continuent à se faire ressentir au début de 2024, avec un RevPAR à -6,4% d’une année sur l’autre en janvier, -12,4% en février, -11,8% en mars et -7,3% en avril. L’occupation connaît une certaine hausse alors qu’on rentre dans les mois d’été, mais l’ADR n’est pas encore retrouvé son niveau de 2022. 


            Les impacts qu’une destination connaîtra à cause du climat ou des événements politiques dépend des touristes typiques de cette destination. Bien que nous puissions anticiper l’impact sur l’occupation et l’ADR de certains événements, prévoir quand et où ils auront lieu est une toute autre histoire. D’après ZestyAI, les experts d’analyse en risque de feux de forêt ne sont plus “juste un problème Californien”. Des situations de sécheresse préoccupante se constatent au Nouveau Mexique, en Arizona, Idaho et au Montana. Le gouvernement Canadien s’attend à un risque de feux de forêt qui restera élevé durant la saison 2024 dans l’Ouest Canadien et les provinces de l’Atlantique. De plus, les saisons des feux sont de toute évidence prolongées avec des feux majeurs se déclarant bien plus tôt que les années précédentes.


            Maintenant plus que jamais, les prévisions de la demande basées sur les données historiques sont de moins en moins pertinentes. Avec de multiples éléments ayant causé d’importants changements dans la demande au cours des dernières années, la possibilité d’une catastrophe climatique à tout moment, les hôteliers doivent se tenir prêts à réfléchir de façon autonome, à réagir rapidement et à capitaliser sur les bons moments pour mieux anticiper les potentiels temps durs. 


Rikki Cavanagh